Le Parisien est au Français ce que l'Athenien est était au Grec;
personne ne dort mieux que lui, personne n'est plus franchement
frivole et paresseux que lui, personne mieux que lui n'a l'air
d'oublier; qu'on ne s'y fie pas pourtant; il est propre à toute
sorte de nonchalance, mais, quand il y a de la gloire au bout, il
est admirable à toute espèce de furie. Donnez-lui une pique, il
fera le 10 août; donnez-lui un fusil, vous aurez Austerlitz.
S'agit-il de la patrie ? il s'enrôle; s'agit-il la liberté ? il
dépave. Gare ! ses cheveux pleins de colère sont épiques; sa blouse
se drape en chlamyde. Prenez garde. De la première rue Greneta
venue, il fera des fourches caudines. Si l'heure sonne, ce
faubourien va grandir, ce petit homme va se lever, et il regardera
d'une façon terrible, et son souffle deviendra tempête, et il
sortira de cette pauvre poitrine grêle assez de vent pour déranger
les plis des Alpes. C'est grâce au faubourien de Paris que la
révolution, mêlée aux armées, conquiert l'Europe. Il chante, c'est
sa joie. Proportionnez sa chanson à sa nature, et vous verrez !
Tant qu'il n'a pour refrain que la Carmagnole, il se
renverse que Louis XVI; faites-lui chanter la Marseillaise,
il délivrera le monde.
Victor Hugo - Les Misérables
mardi 24 février 2004 (1 post)
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